mardi, 17 novembre 2009
Au fil des mots... Serge Lutens

A feuilleter ELLE depuis l'âge le plus tendre, je me souviens, adolescente, avoir été marquée par les pubs des maquillages Shiseido. J'ignorais alors tout du travail de Serge Lutens, à l'exception de ces images de femmes évoquant un univers onirique, femmes fardées reconnaissables entre toutes, femmes signature, toujours différentes et pourtant toujours semblables. Et puis, en 2000, est venue l'ouverture des Salons du Palais Royal Shiseido et le lancement de la marque de parfums à son nom. Je me suis promis de découvrir ces salons (et ces fragrances) à chacun de mes passages à Paris et n'en ai finalement jamais franchi le seuil.
Il m'a fallu attendre l'automne 2008 pour m'offrir mon premier parfum griffé Lutens et succomber aux sirènes de Rousse. Et comprendre, du même coup, que j'avais sombré dans une nouvelle addiction. A l'automne 2009, je n'ai pas su résister au sillage de Five O' Clock au Gingembre...
Je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir les deux dernières créations de Serge Lutens, Filles en Aiguilles et Fourreau noir. Comme les autres fragrances de la marque, elles sont désormais commercialisées en ligne.

Lorsqu'il m'a été proposé de réaliser une interview de Serge Lutens pour mon blog, j'ai su que m'était offerte une chance unique de me mettre à l'écoute d'un anticonformiste surdoué. Même ses communiqués de presse ne ressemblent à rien de ce qui se fait ailleurs.
Je vous laisse savourer ses mots...
- Le nom de vos parfums est déjà en soi une porte ouverte sur l'imaginaire. Je pense par exemple à Fille en Aiguilles ou à Serge Noire, qui, au-delà du clin d'œil à votre prénom, évoque ce tissu dont on faisait des sarraus. Comment choisissez-vous ces noms ? Arrivent-ils en général comme une évidence au moment de la conception même du parfum ? Ou font-ils l'objet d'une réflexion une fois la fragrance composée ?
- Il n'y a pas de recette ni d'habitude dans ce domaine. Cela peut venir d'une réflexion tant littéraire qu'olfactive, d'un jeu de mots, d'un croche-pied... « Fille » aurait pu être « Fil(s) » mais l'hésitation flotta. De façon générale, j'ai toujours peur de trop déterminer un parfum au féminin ou au masculin, le voulant au choix de... L'instant où je décide d'un nom peut relâcher une rage, une fureur, une envolée lyrique, un vol de colombes, un coup de sabre, une haleine d'enfant, un meurtre dans le brouillard. Il n'y a pas de recette, je suis un cuisinier fou !
- Avant d'être un créateur de parfums, vous avez été connu - et reconnu - comme un homme d'images. Diriez-vous que le processus créatif est cependant comparable ? L'image tient-elle une place dans la création d'un parfum, et si oui, de quelle manière ?
- Je pense que je n'ai fait que formuler des images, à travers la photographie bien sûr, le cinéma parfois, et le parfum maintenant ; Autant lorsque je dessine une boîte que lorsque je compose un parfum, point par point, virgule après virgule, je combine les accords pour donner - comme je pourrais le faire si j'écrivais un roman - la phrase la plus précise possible. Formuler une image, c'est décrire visuellement, olfactivement, littérairement, mais dans ces trois cas, cela demeure littéral. Sans image, cette parfumerie n'existerait pas.
- Bien sûr qu'il y a des filiations, mais ce n'est pas à moi de les décider. Je pense que le féminin est en moi et qu'il s'inscrit involontairement. Je n'ai jamais pensé que le parfum, comme la littérature ou la musique, puisse s'adresser à des hommes ou à des femmes ! Imagineriez-vous des disques pour hommes et des disques pour femmes ? Le parfum n'échappe pas à cette règle. C'est avant tout un produit de la sensibilité. Les parfums ne sont pas un « chiotte » de gare avec hommes et femmes à l'opposé.

- Vous travaillez au sein d'un groupe japonais et vivez au Maroc. Comment intégrez-vous les influences de ces deux cultures à votre travail ?
- Je subis les influences. Elles sont en moi ; ce que j'ai vécu, ce que je connais s'inscrit, c'est un tout. Je suis capable de faire quelque chose de très marocain ou de très japonais, mais au final, c'est moi. Cela les surprend toujours, pour ma part, non. Cela correspond sans doute au principe du choc qui se diffuse en vous. Nous sommes faits de tout, de choses refusées, de choses acceptées. Ni le bien, ni le mal n'ont ici de valeur, de même que le beau ou le laid. Cela compose une personne qui est vous, qui est moi...

- Les Salons du Palais Royal (où vous avez été le premier à vous installer, rejoint aujourd'hui par une pléiade d'enseignes de mode haut de gamme) proposent une nouvelle vision de la parfumerie. Au-delà, c'est l'ensemble de la marque Serge Lutens, par ses produits, ses packaging, son esprit, qui symbolise une vision nouvelle de la parfumerie, loin des recettes marketing, des campagnes tapageuses et des égéries qui se démultiplient. Comment garde-t-on le cap (la marque, créée en 2000, est encore très jeune), comment envisage-t-on et maîtrise-t-on son développement, dans un univers de parfumerie dominé par l'image pour l'image et le sens du profit ?
- Une part de ma notoriété - si elle en est - provient de mon indifférence aux thèmes du développement tels qu'ils sont donnés. Développer signifie pour moi qu'on puisse retrouver à travers mes propositions, des affinités qui font qu'une liaison se crée. Pour le reste, cela ne m'intéresse pas. Je n'ai jamais fait « comme il fallait ».

- Dans le cas de Miel De Bois, il est précisé sur le site internet Serge Lutens qu'il quitte le flacon rectangulaire et retourne à "la ruche originelle", le flacon rond et galbé des Salons du Palais Royal Shiseido. Quel est l'impact du flacon - et au-delà, du packaging - sinon sur la fragrance elle-même, du moins sur la perception qu'on en a ?
- J'ai imaginé les flacons galbés - ce sont des flacons de table qui se posent - uniquement par rapport à un lieu et au décor que j'y plantais. C'est une histoire qui n'est pas déplaçable, ni diffusable, cela ne serait pas souhaitable. Le flacon rectangulaire - qui est un flacon de poche - me représente intrinsèquement : il est carré, net, en dehors d'un lieu précis. Pour le reste, je ne me pose pas vraiment ce genre de questions, j'avance sans trop savoir où je vais exactement. Je travaille. J'ignore ce qui crée un choix ou la façon dont une chose est perçue par quelqu'un. Les possibilités sont multiples. « Miel de Bois » rejoint les Salons du Palais Royal car sa distribution étant plus limitée - et ne désirant en aucun cas l'abandonner - je l'ai placé dans mon orphelinat de luxe !
- Bornéo 1834 est proposé sur le site internet de la marque dans le cadre d'une collection éphémère. Est-il prévu que d'autres fragrances rejoignent cette collection ? Est-ce la fragrance, qui est éphémère, ou sa présentation, à un moment donné ? Et pourquoi ce parfum-là sera-t-il éphémère, plutôt qu'un autre ?
- Chaque année, je choisis un parfum aux Salons du Palais Royal, que la marque Serge Lutens, met à disposition des intéressés, dans les points de vente où la marque est distribuée, pendant un temps réduit (d'où éphémère). Cela permet de faire sortir ces parfums du Palais Royal et de les livrer à l'intérêt d'un public d'amateurs. Cette action a commencé il y a quelques années. Pour 2009, la marque sort « Muscs Koublaï Khan », un des parfums les plus pointus des Salons du Palais Royal.

- La Collection Noire se distingue de la Collection Beige par le prix plus élevé des composants mis en oeuvre pour ces parfums. Comment sélectionnez-vous vos matières premières ? La qualité continue-t-elle de se trouver facilement dans un monde où tout va plus vite ?
- La question du coût n'intervient pas lors de la conception du parfum. C'est lorsque le parfum achevé que la marque décide de la question du coût et de l'insérer dans la collection beige ou la collection noire. C'est le hasard qui fait que... En ce qui concernent les matières, elles se restreignent et s'élargissent à la fois, mais il n'y a aucune gravité pour ma part dans ce domaine. C'est une réalité qui ne me dérange pas. Si la qualité peut se ressentir dans un monde qui a tendance à bâcler, ce n'est pas tant par l'utilisation des matières premières que par la singularité et la justesse qui devraient être accordés à l'accord souhaité.

- Jusqu'ici accessibles via une distribution ultra-sélective, les parfums Serge Lutens sont désormais disponibles à la vente en ligne sur le site de la marque. N'êtes-vous pas cependant condamné à les vendre par ce biais à des "initiés" qui les ont déjà adoptés ? Il est impossible d'apprécier un parfum via un écran...
- Sans doute vous avez raison, mais je pense que c'est aussi une façon d'éveiller la curiosité vis-à-vis d'eux ; L'intérêt ne pouvant venir que dans un second temps, c'est-à-dire par la rencontre avec le jus lui-même. Aussi, comme vous le voyez, il existe également sur ce site internet, une clarification par rapport à l'endroit où l'on peut découvrir et rencontrer sur place ces parfums, si on le désire
- Envisagez-vous parfois de reprendre la composition de certains de vos parfums, de les retravailler, d'en donner une nouvelle version ? Ou préférez-vous de manière générale passer à une tout autre création ?
- D'une façon générale, je n'aime pas me retourner sur le passé. Cela dit, si l'occasion m'était offerte - comme c'est le cas pour « Miel de Bois » - d'un transfert d'un parfum rectangulaire au Palais Royal, je pourrais retraduire mon désir présent et constater l'évolution, ou si vous préférez, la régression dont je suis le sujet.


12:51 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : mode, parfums, serge lutens, palais royal | del.icio.us |
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Commentaires
Écrit par : MOODY-BLUE | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : isabelle | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : oriane | mardi, 17 novembre 2009
Je n'ai jamais osé pousser la porte et pourtant je passe devant ces salons si souvent. Je ne suis pas timide, je suis intimidée. Avoue qu'il y a de quoi !
En tous cas, tout à l'heure en passant devant, je marquerai au minimum une pause hésitante en pensant à ton article.
Bisous
Anne
Écrit par : Anne ChicAndGeek | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : Cat | mardi, 17 novembre 2009
Comme je le disais précédemment, je n'ai encore pas cédé à cette addiction, mais uniquement par ignorance...
Je vais voir de ce pas où l'on propose dans ma ville quelques effluves de cet artiste ^^
Merci Fri, excellente interview :)
Écrit par : mariga(z) | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : cereza | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : CECILE | mardi, 17 novembre 2009
J'adore ce genre de comportement et cette merveilleuse définition "mon orphelinat de luxe"
pour les salons du Palais Royal. Je vais y retourner ! Merci Fri j'espère qu'il y aura d'autres interview de ce calibre !
Écrit par : Sunny Side | mardi, 17 novembre 2009
Et les réponses de S. Lutens sont... ciselées.
Écrit par : Madame Kévin | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : lily | mardi, 17 novembre 2009
Merci à lui et à toi !!! Juste l'impression d'entre dans un monde d'inités pourtant ouvert à tous. On est loin des odeurs politiquement commerciales. On est dans un monde parallèle.
Écrit par : sarah babille | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : C | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : Miss Glitzy | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : sylvie | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : martine vatel-toudire | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : capucine | mardi, 17 novembre 2009
Écrit par : Océane | mercredi, 18 novembre 2009
Écrit par : spiruline | mercredi, 18 novembre 2009
Bravo !
Écrit par : lisa | mercredi, 18 novembre 2009
@Isabelle : tu l'as porté, Féminité du Bois ?
@Oriane : à + :)
@Anne : pousse la porte, et dis nous ! :)
@Cat : plus poète que commerçant, c'est exactement ça...
@Mariga(z) : et tu vas sombrer, comme moi :)
@Cereza : j'ai longtemps couru après mon parfum. J'ai trouvé MES parfums.
@CECILE : dans ma ville kikeloi je le trouve chez Sephora, pas depuis bien longtemps. Et seulement un échantillonage.
@Sunny : merci. Mais c'est surtout l'interviewé, qui fait le calibre !
Écrit par : frieda l'écuyère | mercredi, 18 novembre 2009
@Lily : prochain passage à Paris, cette fois, je fonce !
@Sarah : on ira peut-être ensemble ? :)
@C : inspirant. C'est très juste.
@Miss Glitzy : stilettos & pinède, ce serait fait pour toi !
@Sylvie : merci !
@Marrine : en quelques clics sur le site de vente en ligne dont j'ai donné le lien, et hop, ce sera chose faite ! :)
@Capucine : je me réjouis de m'y rendre.
@Océane : difficile de n'en choisir qu'une...
@Spiruline : tu me diras...
@Lisa : à + bis.
Écrit par : frieda l'écuyère | mercredi, 18 novembre 2009
Bravo FriFri !
Écrit par : M1 | mercredi, 18 novembre 2009
Je cherchais un nouveau parfum la semaine derniere (genre j ai passe 1h ds le sephora a me faire mal au crane), et j ai ete litteralement ENVOUTEE par Fille en aiguille, malgre le prix, j ai craque immediatement, il plait enormement a mon copain qui est super difficile et je ne regrette pas un instant mon acaht.
Merci pour toutes ces info car je ne savais pas qui etait ce monsieur !
Écrit par : amande | mercredi, 18 novembre 2009
Écrit par : shalima | mercredi, 18 novembre 2009
Écrit par : zabou | mercredi, 18 novembre 2009
@Amande : j'en déduis que tu es devenue accro, toi aussi :)
@Shalima : formidable expression !
@Zabou : c'est vrai que même si je suis parfois un peu fâchée avec mon blog, une interview comme ça et nous sommes réconciliés !
Écrit par : frieda l'écuyère | jeudi, 19 novembre 2009
Chapeau ma belle...
Écrit par : emanu124 | jeudi, 19 novembre 2009
Écrit par : M1 | jeudi, 19 novembre 2009
J'ai pour le parfumeur comme pour le photographe une profonde admiration.
Et pour moi avoir un parfum Serge Lutens c'est aller le chercher au palais royal , se faire plaisir jusqu'au bout du bout.....REVER
Écrit par : zoli pour rose | mardi, 12 janvier 2010
Écrit par : civetta | mercredi, 03 mars 2010
Écrit par : Achat Parfums -Serge Lutens | samedi, 24 juillet 2010
Écrit par : Stufe a pellet | samedi, 27 novembre 2010
Écrit par : free itunes download | vendredi, 07 janvier 2011
Écrit par : Rene | vendredi, 13 mai 2011
PODCAST // SERGE LUTENS // A VOIX NUE
Par Philippe Bresson - Cinq épisodes
http://www.franceculture.fr/personne-serge-lutens
1 – A l'origine
2 – La photographie
3 – Le parfum
4 – Parfums et littérature
5 – Libre comme l'art...
Écrit par : ANOUK | dimanche, 22 décembre 2013
Écrit par : limonov | lundi, 07 juillet 2014
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